Quelques
années après la Libération, la voiture désirable était la « Traction avant
Citroën ». Si désirable qu’il fallait plusieurs mois, parfois une année
pour l’obtenir, et mon père comme tant d’autres, voulait sa « Traction ».
Il l’attendait d’autant plus impatiemment que cet homme sans bagnole était
quasiment cul-de-jatte. Or, sa Simca 8 venait de périr au contact brutal d’un
poids lourd de dix tonnes.
Le
compagnon de ma grand-mère, -s’y était-il pris à temps, avait-il choisi une
autre marque ou un autre modèle ?-
toujours est-il qu’il conduisait une voiture neuve, aussi a-t-il refilé
à son gendre la C4 qu’il n’utilisait plus.
Ah !
je voudrais être poète pour composer un hymne à la C4, le carrosse des fées de
mon enfance ! Si facile à dessiner déjà, sur un cahier quadrillé. Avec
tant de place à l’arrière qu’on y pouvait jouer aux petits chevaux, au Nain
Jaune… jouer quoi ; et ceci grâce aux deux strapontins qui faisaient face
à la banquette ; avec le marchepied extérieur sur lequel on pouvait monter
en marche tels les gangsters de nos bandes dessinées. Ah, oui ! c’était
une voiture bien faite pour des enfants souvent accompagnés de chiens et de
chats. Elle était de couleur vert sapin et si haute qu’on dominait la circulation
dans les rues encombrées de Paris.
Haute,
verte et confortable, mais… démodée et mon père mourait de honte au volant de
son carrosse. Quand enfin est arrivée la « Traction », la C4 a
disparu et depuis, chaque fois que je vois une sortie de vieux tacots, je la
cherche avec l’espoir qu’elle n’a pas fini à la casse, mais qu’elle coule des
jours tranquilles dans un garage où un amateur la bichonne avec soin.
Donc
la Traction est arrivée, la première d’une longue série. Je me souviens de son
numéro d’immatriculation : 2004 BW 75. Pour l’inaugurer, mon père nous a
fait faire l’aller-retour d’usage sur l’autoroute de l’Ouest qui s’arrêtait
alors, me semble-t-il, à Orgeval.
Etait-ce le regret de la C4, c’est à ce moment-là que j’ai pris en grippe
l’odeur de la voiture neuve. Et on en avait souvent, des neuves, car mon père
en cassait beaucoup. Il conduisait bien, pourtant et quand survenait l’accident
plus ou moins grave, il n’était jamais dans son tort. Mais voilà, quand on est
trop certain de son bon droit, il arrive que le résultat soit le même que
lorsqu’on est en faute. Ainsi de l’accident qui détruisit la Simca 8 :
nous partions en vacances et, traversant au petit matin la place du Châtelet,
le poids lourd a refusé la priorité. La sagesse eut été de le laisser passer,
mais mon père n’était pas sage et il ne s’est pas arrêté. Les vacances à peine
commencées, se sont terminées au proche Hôtel-Dieu.
Une
autre fois pourtant, il lui arriva de plier en deux un bec de gaz et perdant le
contrôle, d’emboutir toutes les voitures en stationnement de la rue, du côté
droit comme du côté gauche. Certes, il n’avait pas bu que de l’eau gazeuse,
cette fin de nuit-là, mais c’était en compagnie d’un de ses amis commissaire de
police qu’il raccompagnait chez lui… Cette voiture-là, je m’en souviens, bien
qu’elle ait duré moins d’une semaine, était une Panhard gris/bleu pastel, aux
sièges de cuir gris… elle aussi sentait la voiture neuve… elle n’a pas eu le
temps de vieillir.
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