A mi-parcours du chemin qui conduit de la trentaine à la quarantaine,
ma mère se posa une question pertinente : de quelle utilité était dans sa
vie un homme qui lui avait fait deux enfants dont elle devait assumer seule la
destinée ? un homme dont les
disparitions inopinées ne l’inquiétaient qu’en raison des désordres en tous
genres qu’engendraient ses réapparitions ?
Elle examina soigneusement toutes les réponses possibles pour arriver
à cette dernière : quand il a une voiture en état de marche, il nous
emmène le dimanche à la campagne.
« Eh bien, conclut ma mère, pour ça comme pour le reste, je peux
fort bien y arriver sans lui ! »
Ma mère passa son permis de conduire, qu’elle obtint du premier coup…
c’était dans les années cinquante… Succès qui me valut de nombreux sarcasmes
quand bien des années plus tard, il me fut impossible de réussir le même
exploit.
En possession de papier rose, ma mère fit l’acquisition d’une 4CV.
Elle était bleue si mes souvenirs sont bons ; bleu clair.
Installée au volant et totalement maîtresse d’elle-même comme de tout
l’univers routier, elle endommagea un certain nombre de véhicules sans que
jamais sa responsabilité ne soit mise en cause, tant était grand son respect du
code de la route nouvellement appris. Quand elle s’arrêtait sagement aux
endroits obligés, était-ce sa faute si le conducteur qui endommageait son pare-choc
arrière n’était pas comme il l’aurait dû, totalement maître de son
véhicule ? Etait-ce sa faute si un imprudent sortait de sa voiture côté
circulation et si la fringante 4CV emportait avec elle la portière
ouverte ? avait-elle vraiment désiré qu’un camion-poubelle lui ouvre comme
une boite de conserve une des proéminentes
ailes avant ?
Après avoir répandu la crainte dans les rues de Nancy, ma mère lassée
de la province à l’esprit aussi étroit que ses rues, mit quelques effets dans
un sac, le sac dans le coffre, mon frère en pension et moi-même chez des
grand-mères, prit le volant et « monta » à Paris. Il serait plus
juste de dire « remonta » ; elle y avait gardé des relations et
trouva sans tarder un studio près de la Madeleine et un job chez Cardin, alors
en pleine ascension.
Arriva le mois de juin, le mois où dans la couture, ceux qui
travaillent au studio avec le créateur doivent prendre leurs vacances avant le
rush de la collection. Mon frère n’avait pas terminé son année scolaire et
grandes filles, ma mère et moi nous
mîmes en route pour le Lavandou où elle avait des souvenirs d’enfance :
une vaste pinède en bord de mer où l’on pouvait planter la tente et vivre en
sauvages, pieds nus, sans faire de cuisine avec juste un réchaud à alcool pour
chauffer le café, la plage et la mer presque pour nous seules… mais avant
d’aborder ce paradis, il fallait partir et sous une pluie battante enfourner
valises et matériel dans le coffre et sur la banquette arrière, d’une 4CV…
imaginez ! Ma mère avait bien entendu ôté de la voiture tout un matériel
superflu qu’elle avait remisé à la cave…..
3 commentaires:
J'adore ton histoire Pomme ! Il y aura une suite je suppose... Une 4CV avait un tout petit habitacle et ne tenait pas la route. Moi, j'ai connu la Simca 5, c'était pas mal non plus. Ma soeur et moi partagions la banquette en bois à l'arrière qui abritait la batterie... un jour elle a pris feu !!!
GROS BECS
Jolie histoire qui annonce plein de rebondissements et d'aventures .... la vie tout simplement !
La nôtre était noire. Nous étions quatre, nous transportant de la capitale du Maroc vers l'Est de la Franc, à travers l'Espagne. Les valises en carton sur le toit, le coffre savamment rangé qui contenait, entre autres choses, tout le nécessaire pour pique-niquer en route et pour laver le petit linge de deux jeunes enfants. C'est elle qui m'a permis mes premiers essais de conduite, et c'est avec elle que j'ai réalisé mes premiers transports pour aller sur mon lieu de travail. Plein de souvenirs... le point mort dans les descentes, la manivelle pour le démarrage...
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