Or donc, Saint-Bonnet était
prisonnier, enchaîné, on l’avait vu les menottes aux poignets et pourtant,
redouté des uns et aimé des autres, on ne trouvait personne qui voulut
témoigner contre lui. Alors le bruit se répandit qu’il refuserait la liberté
tant qu’il ne serait pas pleinement justifié ; puis on sut d’autre part
qu’on avait payé le déplacement des quelques rares personnes qui, ayant appris
son incarcération avait osé déposer contre lui. Ces rumeurs et quelques avis
placardés dans les paroisses délièrent les langues ; surtout les
mauvaises !
Monsieur de La Palissonnière,
avait envoyé à Chartres l’intendant criminel d’Orléans qui reçut les
dépositions récoltées par les curés. L’intendant fit savoir par huissier à tous
les témoins qu’ils allaient devoir se présenter à la Tour de Chartres pour être
confrontés devant lui à l’accusé. Ce fut un beau désordre ; sur les deux
cent témoins convoqués, certains persistaient à charger le prisonnier, mais
d’autres l’innocentaient ; certains avaient vu, d’autres n’avaient qu’ouï
dire. Mais hélas, l’affaire était entendue d’avance. Noël approchait ;
alors que le détenu s’apprêtait à entendre la messe de minuit, les archers
firent irruption dans son cachot, le saisirent, le ligotèrent sur un cheval
pour le conduire à Orléans où il fut mis en cellule.
Bien que prisonnier, on
continuait à le redouter ; il avait des amis et on craignait un complot
pour le délivrer. Son procès fut bientôt terminé. Condamné à avoir la tête
tranchée et exposée à Chartres sur la porte Guillaume, le jour de l’exécution
fut fixé au 25 janvier 1666, jour de la Conversion de saint Paul, comme l’annonçaient
ces quatre vers :
Le jour de la Conversion de saint Paul,
Saint-Bonnet présenta son col,
Etant monté sur l’échafaud,
Livra sa tête à trois bourreaux.
Car il en fallut trois, tant
Saint-Bonnet était encore redouté, tant on craignait toujours un coup de force.
A plus de cinquante lieues à la ronde, on parlait du procès et de la
condamnation de cet homme qui comptait encore des amis.
Le jour de l’exécution, la
garnison d’Orléans était sous les armes ; les portes de la ville étaient
fermées et gardées. On fit monter sur
une charrette le condamné, accompagné de deux bons pères. En passant devant
l’église Sainte-Catherine, il demanda un arrêt et alla s’agenouiller sur le
parvis. Enfin, parvenu à la place où était dressé l’échafaud, il y monta
hardiment en saluant l’assistance ; il y avait là, dit la chronique, plus
de dix mille personnes. Il refusa d’avoir les yeux bandés et se mit à genoux
devant le billot.
On avait fait venir le bourreau
de Paris, celui d’Orléans et celui de Chartres. Trois bourreaux pour un seul
condamné… L’un lui lia les mains et les jambes, un autre lui coupa les cheveux
et fit signe au troisième qui s’approcha le coutelas à la main pour faire son
devoir. Saint-Bonnet, si intrépide qu’il fût, eut néanmoins un réflexe de frayeur qui fit
dévier le coup ; l’exécuteur lui coupa la moitié du menton. Saint-Bonnet
sous la douleur tenta de se relever et rompit les cordes qui lui liaient les
jambes. Il s’en fallut de peu qu’il ne tombât de l’échafaud ; un des
bourreaux le rattrapa par une jambe et le remit en place ; l’autre
l’empoigna par les cheveux tandis que le troisième achevait de lui trancher le
cou. Cette boucherie terminée, le bourreau de Chartres prit la tête, la mit
dans un sac pour la rapporter dans sa ville. Au bout d’une pique, la tête du
malheureux Saint-Bonnet fut plantée à la tour Guillaume où elle resta pourrir
deux ans, avant de tomber dans les fossés de la ville.
Ainsi périt Monsieur de
Saint-Bonnet l’aîné, le dernier de ses frères, les plus nobles, les plus
estimés gentilshommes d’un pays où l’on se souvenait encore de leur grand-père,
Grand Ecuyer de France, tué à la bataille de Dreux. On pouvait voir encore à
cette époque son effigie dans la chapelle Saint-Crépin en l’église Saint-Pierre
de Dreux.
Le corps de Monsieur de
Saint-Bonnet fut inhumé en l’église Saint-Paul à Orléans en présence de toute
la noblesse de la ville.
Longtemps après ces évènements on
regrettait l’infortuné gentilhomme dont on continuait à louer la vaillance et l’adresse. Sa renommée
dépassait la province et on disait de lui qu’il était la meilleure épée de
France. Et la légende nous est parvenue d’un homme dont aucun adversaire
n’était venu à bout, bon cavalier, adroit aux armes, généreux et à qui la grâce fut donnée de mourir en bon
chrétien.
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