LES GAITES DU PROCES-VERBAL
Cette petite pièce, dont nous garantissons l'authenticité, a été versée au dossier d'un banal procès entre propriétaire et locataire qui s'est plaidé dernièrement.
A la requête d'un propriétaire, un huissier constata en ces termes impérissables que le sieur X... ne jouissait pas paisiblement des lieux qu'il occupait:
Je soussigné ai constaté:
Qu'à neuf heures vingt minutes des cris et chants à tue-tête se font entendre dans l'appartement sis au 1° étage à droite, fermé par une porte à deux battants vitrée; ces chants et ces cris sont accompagnés de coups violents et réguliers donnés sur le parquet; ils sont entendus même de la porte d'entrée de la maison au rez-de-chaussée.
A neuf heures vingt-huit le bruit cesse.
A neuf heures quarante la porte de cet appartement s'ouvre et un homme âgé d'environ cinquante à cinquante-cinq ans, traverse le palier, ouvre la porte d'en face et pénètre dans l'appartement de gauche; il est chaussé de chaussures à semelles en bois qu'il frappe fortement sur le parquet; aussitôt la porte fermée, il se met à chanter à tue-tête dans le haut de la voix en marchant dans tout l'appartement et en s'accompagnant à coups redoublés sur le parquet (ces coups sonnent environ soixante à la minute), il parcourt à plusieurs reprises l'appartement, s'arrête dans la cuisine où il frappe sur le fourneau à plusieurs reprises, puis sur le pavage de la cuisine.
Puis, sans interruption de plus d'une demi-minute, il chante successivement: Joséphine, voilà le train qui déraille, puis les Montagnards, la Paimpolaise et autres; il frappe toujours avec un bâton près de la porte d'entrée: le bruit résonne dans tout l'escalier.
A dix heures sept, il cesse de frapper, tout en continuant de crier et de chanter.
A dix heures quatorze, il reprend sa marche en frappant et criant, et revient près de la porte et crie:"Maudit soit ce local, maudite la maison toute entière et ceux qui l'habitent! moi je m'en fous..."; il reprend la chanson Joséphine, puis la Paimpolaise.
A dix heures et demie, il tappe les pieds et frotte violemment l'extrémité de son bâton sur le plancher en courant.
A dix heures trente-trois, il revient près de la porte et crie à nouveau:"Maudits soient cette maison et ceux qui l'habitent!"
A dix heures trente-cinq,il chante Connais-tu le pays?
A dix heures trente-huit, il donne de violents coups de bâton.
A dix heures trente-neuf, il crie encore :"Maudit soit ce local!"
A dix heures quarante, il ouvre la porte, mais, dès qu'il m'aperçut, il rentra dans l'appartement où il continua à frapper et à crier.
A dix heures quarante-cinq, il sort de l'appartement, le bâton à la main, traverse le palier et rentre dans l'appartement d'en face.
De tout ce que dessus j'ai dressé le présent procès-verbal. Coût: 26fr.20.......
Nos Loisirs- 8 juillet 1906
1 commentaire:
Bon pour la camisole, hahahaha !
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