Article paru
dans "Le Monde" du 08.10.13
Roms, prisons, espionnage sur Internet, droits
des étrangers...
Le
discours sécuritaire est le seul audible
oux rêveurs », « angéliques », «
illégitimes », « droits-de-l'hommistes »... Qu'ils soient défenseur
des droits, contrôleur général des lieux de privation de liberté, responsables
associatifs, avocats, magistrats, ils ont l'habitude de ces noms d'oiseaux dont
on les affuble pour les disqualifier d'emblée, eux ou la cause pour laquelle ils
se battent : la protection de libertés fondamentales et de droits universels.
Autant de garanties indispensables, en particulier pour les plus démunis, mais
qui sont balayées (avec leurs défenseurs) comme quantité négligeable par gros
temps populiste, comme celui qui frappe notre continent.
« Dans cette espèce de maelström, on
n'est pas audible », observe Florent Gueguen, directeur général de la
Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale
(Fnars). « Il est difficile de sensibiliser les gens, et encore plus de les
convaincre », renchérit Patrick Baudouin, avocat et ancien président de la
Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), qui évoque un «
rouleau compresseur ». « Les gens se recroquevillent. On a un peu
l'impression d'emmerder le monde », résume Antoine Grézaud, directeur de
cabinet du défenseur des droits, Dominique Baudis.
L'ampleur de la polémique sur les Roms,
et la nature des propos tenus à ce sujet par Manuel Valls, ont surpris, y
compris ceux qui croyaient avoir tout entendu. Jugeant « indignes et
mensongers » les propos du ministre de l'intérieur, Christine Lazerges,
présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme,
observe qu'ils surviennent dans un « inquiétant climat démagogique »
marqué par « la peur de l'autre ». Le débat est « centré sur
divers exclus qui pollueraient le «vivre-ensemble», détricoteraient le lien
social. On laisse entendre que ceux qui sont au bord du chemin le sont par leur
faute », relève l'ancienne députée socialiste.
Les uns et les autres ne mesurent pas
seulement les ingrédients mais aussi les causes de ce climat sécuritaire.
Certaines sont déjà anciennes : ainsi la lutte contre le terrorisme, qui permet
de justifier l'adoption de mesures répressives ou de mécanismes de surveillance.
« Après la chute du Mur de Berlin, il y a eu un vrai souffle de liberté,
rappelle Me Baudouin. On avait le sentiment d'être entendu et d'être au
diapason des opinions publiques. Après les attentats du 11-Septembre, s'est
produit un retour de manivelle. Un vent mauvais a commencé de souffler.
»
Un vent dont les effets ne se sont pas
dissipés. Les révélations sur l'ampleur de l'espionnage électronique auquel
s'est livrée l'Agence nationale de sécurité (NSA) américaine « n'ont guère
suscité de débat, hormis en Allemagne », relève l'ex-président de la FIDH.
« Le citoyen qui ne pense pas être une cible potentielle ne se sent pas
concerné », déplore-t-il.
A partir de 2008, la crise est venue
ajouter une autre chape de plomb, plus lourde encore, chacun étant incité à
subvenir à ses besoins plutôt qu'à ceux des autres. Sénateur UMP du Nord, ancien
rapporteur de la loi pénitentiaire de 2009, Jean-René Lecerf se souvient de
cette interrogation de syndicalistes : « Pourquoi parler du travail des
détenus alors qu'il y a du chômage à l'extérieur des prisons ?
»
Un insidieux mécanisme de tri s'est
opéré, dont les plus en marge, à commencer par les étrangers, font les frais.
« On ne pense l'immigration que de façon négative et répressive. Il est très
facile de dire que c'est «l'autre» qui nous pose un problème. Petit à petit, le
discours du FN a produit son effet », souligne le président du Groupe
d'information et de soutien des immigrés (Gisti), Stéphane Maugendre, selon
lequel le gouvernement actuel agit, en la matière, « dans la lignée du
précédent ». A la Fnars, on en perçoit les effets sur les places en
hébergement d'urgence. « La crise a réveillé une forme d'égoïsme. Et la
solidarité est beaucoup moins forte pour le migrant que pour le SDF »,
constate M. Gueguen.
Une demande de sécurité tous azimuts
est allée croissante, rendant pour le moins difficile l'examen rationnel de tout
dispositif touchant au code pénal ou à l'état (désastreux) des prisons. «
Quand Christiane Taubira propose simplement de penser que les gens qui entrent
en prison vont un jour en sortir, l'idée qui s'impose est qu'elle veut vider les
établissements pénitentiaires et ne plus condamner personne. C'est
invraisemblable ! », s'exclame le député Dominique Raimbourg, vice-président
(PS) de la commission des lois. « Il est toujours plus facile d'essayer de
flatter un certain nombre d'instincts que de faire appel à l'intelligence de nos
concitoyens », constate en écho M. Lecerf, qui se sait considéré comme un
« emmerdeur » au sein de sa famille politique.
Avec une forte inquiétude, les uns et
les autres constatent à quel point le discours populiste se propage sur
l'échiquier politique et dans les médias. « Nous, on n'a pas changé. Mais
maintenant, compte tenu de la droitisation générale du discours, on est presque
classé à l'extrême gauche », note Françoise Martres, présidente du Syndicat
de la magistrature. Porter un discours dénué de pédagogie est « un calcul à
très court terme », met en garde Mme Lazerges, qui souligne que « les
Français sont plus intelligents que les politiques le croient ». « Cette
régression dans la parole des politiques joue très négativement sur leur image,
déjà détériorée », insiste-t-elle.
Pour Patrice Spinosi, « le pouvoir
politique aurait dû éduquer l'opinion, en lui expliquant par exemple les règles
du procès équitable, ou le fait que la prison n'est pas la solution la plus
efficace ». Avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, Me Spinosi a
fait condamner la France une dizaine de fois devant la Cour européenne des
droits de l'homme, obtenant ainsi des « victoires au forceps » en matière
de droit pénitentiaire, de droit des étrangers ou encore de procédure pénale.
« Alors que le législateur peut être paralysé par une certaine opinion
publique, ces actions devant les juridictions européennes s'imposent à lui
», souligne l'avocat, qui y voit « le moyen le plus radical d'obtenir un
résultat ». Désormais le seul, peut-être.
Jean-Baptiste de Montvalon
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