La
famille Saint-Bonnet décimée, on pouvait espérer voir revenir des jours plus
tranquilles à Blévy et ses alentours. Pas pour bien longtemps : moins de
dix ans plus tard, quelques hobereaux locaux allaient faire parler d’eux. C’est
que monsieur de Baronval et monsieur de la Noue étaient en désaccord sur la
position de leurs places respectives dans l’église de Blévy.
Guillaume
de Colas, sieur de Baronval avait son banc dans la nef, proche de l’autel de la
Vierge, c’est-à-dire devant celui de monsieur de la Noue. Ce qu’il estimait
légitime puisque la famille de la Noue avait de tout temps été protestante. On
était encore loin de la révocation de l’Edit de Nantes, cependant ses membres, humant
le sens du vent, avaient estimé que le moment était venu de complaire au roi et
de changer la façon de dire sa prière. Ils étaient donc catholique de fraîche
date, ce qui aux yeux de Baronval justifiait sa préséance.
Mais
Charles de Paris, sieur de la Noue était
écuyer du Roi, position qui selon lui obligeait Baronval à lui céder le pas. En
conséquence, il fit placer son banc dans le chœur. Le curé, terrorisé, humilié,
parfois battu, menacé de mort ou même pire, depuis beau temps ne se mêlait plus
des affaires de ces bons seigneurs ; il les laissait démêler entre eux
l’écheveau embrouillé de leurs prérogatives. Il se contenta d’avertir Antoine Leclerc de Lesville,
qui en qualité de marquis de Maillebois, était seigneur de Blévy ; Antoine Leclerc
fit déplacer près du portail le banc de monsieur de la Noue.
La
Noue offensé, fit construire une balustrade entourant l’autel de la Vierge et
fit placer son banc à l’intérieur. Ce qui de fait, fit reculer celui de
Baronval derrière le sien. Voilà donc nos gentilshommes bien montés l’un contre
l’autre et pas seulement pour cette histoire de bancs ; il s’agissait
aussi de savoir lequel des deux devait avoir l’honneur d’offrir le pain et
aussi l’eau bénits. Pendant un certain
temps, ils se contentèrent de s’éviter, d’échanger des mots bientôt remplacés
par des injures ; puis la Noue décida d’en finir et de frapper un grand
coup.
Un
beau jour d’automne, c’était un dimanche 20 octobre de 1669, La Noue invita une
dizaine de gentilshommes de ses amis ; il y avait là entre autres, monsieur
des Routis, les deux messieurs de Saint-Arnoult, les sieurs de la Ferrette, Mr
le baron de Favières, Mr de Bois-Rouvray, Mr de Régusson, Henri de Fayel,
seigneur de Marigny (qui est proche de Prudemanche) et Mr de la Lucazière qui, sans doute parce
que son domaine était le plus proche arriva sur les lieux quand tout était
terminé. La Noue leur donna à dîner, puis les emmena à la messe. Une étrange
messe pour laquelle si l’on oublia bien de prier Dieu on n’omit pas de s’armer de pistolets, d’épées et aussi de
fusils. La compagnie était installée dans l’église quand arriva Baronval bien loin d’imaginer ce qui l’attendait. Le
fils de Mr de Caupray, un de ses amis qui était venu la veille le visiter
l’accompagnait et aussi Florient Galliot, seigneur de La Houssaye. Tant de
gentilshommes armés assemblés dans l’église ne laissèrent pas de surprendre
Baronval. Surprise dont il n’eût pas le temps de se remettre : La Noue et
ses amis le prirent à parti verbalement et vertement pour commencer. Méfiant,
au lieu d’aller à son banc qui était proche de celui de la Noue, Baronval alla d’abord près de la chaire et
tenta de sortir. La Noue voyant que son ennemi allait lui échapper n’attendit
pas qu’il fût à la porte pour le coucher en joue et tirer. Et bien qu’ils
fussent à dix contre trois hommes surpris, les autres tirèrent à leur tour. Le
vacarme était indescriptible ! Les pauvres fidèles qui étaient venus
paisiblement écouter la messe ce matin-là, tentaient de fuir ou de se protéger
comme ils pouvaient. Baronval avait des amis qui prirent son parti, d’autres
assistants prirent celui de La Noue. L’église était devenue champ de
bataille d’où les fidèles non concernés s’échappaient
en hurlant.
Monsieur
de Baronval, touché à l’estomac, par le chevalier de Saint-Arnoult tomba raide
mort près des fonts baptismaux. La Houssaye , s’empara de ses deux pistolets et
fit feu sur les assaillants, aidé de Mathurin Allais, meunier du moulin des
Pré, lui aussi armé. Que pouvaient faire les partisans de Baronval surpris sans
armes pour la plupart ceux bien équipés du parti de la Noue ? Le pauvre La
Houssaye abattu, fut encore criblé de balles après son trépas. La chronique ne
dit pas comment le meunier s’en est tiré, mais on sait que les vaincus n’ont
pas épargné leurs assaillants : La Noue fut touché à la poitrine et finit huit
jours plus tard par mourir de sa blessure ; Henri de Fayel, lui aussi
blessé près de la balustrade du chœur en tentant de faire sortir madame de La
Noue enceinte, et que la frayeur allait faire accoucher prématurément, mourut
le lendemain ; Bois-Rouvray ne mourut pas mais fut touché dans ses œuvres
vives de telle sorte qu’il lui devint impossible de continuer d’assurer sa
descendance.
On
trasporta le corps de Baronval dans la salle d’audience de Maillebois où il fut
autopsié pour découvrir qu’un coup d’épée dans le foie lui avait été funeste. Antoine
Leclerc de Lesville le fit inhumer dans l’église devant l’autel du Rosaire.
Cependant
les vainqueurs n’eurent guère loisir de savourer leur victoire : la
justice avait son mot à dire. Assignés à comparaître sous trois jours au
tribunal d’Orléans, les rescapés avaient pris la fuite. On envoya des archers à
leur recherche dans toute la région. Un commissaire fut nommé, Mr Martin qui
mena l’enquête à Blévy et prit la déposition de tous les habitants qui étaient
venus écouter la messe ce dimanche-là. Il avait amené avec lui un des grands
vicaires de Chartres. En effet, par ces meurtres, l’église avait été profanée
et depuis, il fallait dire la messe à la chapelle Saint-Claude située un peu
plus loin sur la route de Mainterne ce qui pour la plupart des fidèles faisait
tout de même 500m de plus à parcourir ! La situation ne pouvait donc durer
et l’église fut bénie à nouveau. L’enquête terminée, le commissaire Martin
condamna les morts à être traînés sur une claie puis pendus par les pieds.
L’exécution eut lieu en effigie ; on n’allait pas remuer la terre où
reposaient les condamnés pour les en tirer , d’autant plus que le temps ayant
fait son œuvre, on aurait pu en perdre des morceaux avant de parvenir au gibet.
Quant
aux vivants, certains eurent à payer un forte amende ; les autres, seize nobles
et deux de leurs valets dont on n’avait pas retrouvé trace, par jugement rendu
le 16 janvier 1670, furent déclarés criminels de lèse-majesté divine et
humaine, dûment atteints et convaincus d’assemblées illicites, de combats
prémédités, de sacrilèges et profanations commis dans l’église de Blévy ; eux
aussi pendus en effigie et déchus des privilèges de noblesse et déclarés
ignobles et roturiers et leurs fiefs saisis. La veuve du Seigneur de Marigny,
Marguerite de Gaillardbois dont la famille possédait Marcouville, parvint à
faire lever le séquestre et à rétablir la presque intégralité de son domaine
auquel il manquait une ferme de Laons qu’il avait fallu vendre pour payer
l’amende.
On grava la sentence sur une plaque de cuivre qui fut scellée dans l’église, sur le mur de la nef entre la chapelle de la Vierge et le Parquet de la Charité. Ne l’y cherchez pas, la Révolution l’a emportée.
illustration: l'église de Blévy par Utrillo
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