La Haute –Couture.
Dernière semaine de janvier, une
grand’messe se termine : les défilés de Haute – Couture printemps-été.
Prochaine cérémonie, fin juillet.
Car les habitants de cette
étrange planète vivent les saisons à l’envers : ils drapent les épaules
nues de soie et de mousseline en plein hiver et attendent la prochaine canicule
pour s’envelopper de cachemire et de fourrures.
Est-il bien nécessaire en ces
temps incertains d’étaler tant de luxe pour satisfaire la vanité d’une poignée
de femmes fortunées dont le nombre d’ailleurs diminue chaque année ?
Si ce n’était que ça ! Mais
ces robes qui défilent finiront pour la plupart dans des musées et témoigneront
du savoir-faire de ces mains qu’on dit petites et qui sont grandes par
l’habileté et le talent. Ne vous y trompez pas : ces temples du paraître
sont aussi et principalement des conservatoires de métiers d’art. Où seraient
sans la Haute-Couture les brodeurs, plumassiers, fleuristes, bottiers,
gantiers, lingères, maroquiniers, modistes et que me pardonnent ceux que je
viens d’oublier ?
Où seraient ces métiers pour la
plupart disparus de la rue comme ont disparu les corsetiers dont Paul Poiret
n’a plus voulu ? La Haute-Couture est pour eux ce que le grand violoniste
est au luthier et le zoologue au panda
géant. Sans les couturiers qui les font vivre tous ces artisans d’art ne
seraient plus que souvenirs.
Egalement le couturier,
protecteur ou fossoyeur d’un métier selon son caprice, n’est pas sans influence
sur le destin de la « femme de la rue ». Paul Poiret est venu à bout
du corset responsable de tant de « vapeurs » et
d’évanouissements ; la femme s’est alors aperçue qu’elle pouvait tenir
droite sans soutien. Peu de temps après, Coco Chanel a détourné le jersey et le
vêtement de sport masculin, pour donner aux femmes encore plus de liberté. Mais
ces deux ne s’adressaient encore qu’aux femmes fortunées.
Tout près de nous, à la fin des
années 60, Yves Saint-Laurent adonné aux femmes le smoking du soir et le
tailleur pantalon. Souvenez-vous que dans ces années-là, dans nombre
d’entreprises, le port du pantalon était interdit aux femmes. Aussi
Saint-Laurent a-t-il fait plus avec ce
tailleur –pantalon et d’autres vêtements de ses collections empruntés au
monde du travail et aux uniformes des armées pour la démocratisation de
l’élégance : désormais, toutes les femme, même les plus modestes, ont pu
(si elles en avaient le désir), se donner l’allure, le « look », des
mannequins et des clientes du couturier.
Il suffisait, et il suffit encore
d’acheter dans les grands magasins ou les surplus de l’armée les originaux des
vêtements copiés par la Haute-Couture. Eh, oui ! Révolution ! Ce
n’est plus la rue qui copie la Couture, c’est la Couture qui copie le vêtement
populaire et met l’élégance à la portée de qui s’en soucie.
Mais il ne faut pas croire
cependant, que l’accès aux grands noms soit réservé aux riches ; il est
des personnes modestes dont le rêve est d’avoir une fois dans leur vie, oh, pas
une de ces robes qui valent le prix d’une voiture, parfois d’une maison, mais
au moins un accessoire qui porte ce nom. Je me souviens d’une couple de
commerçants, droguistes ou quincailliers ; pour leurs cinquante ans de
mariage, le mari a offert à sa femme, payée en petites coupures soigneusement
pliées dans une enveloppe, une paire d’escarpins en crocodile. Elle avait toute
sa vie rêvé de ces souliers en croco véritable, sans une seule couture, chacun
taillé dans la peau d’un petit alligator. Elle avait attendu tout le temps que
les billets soient assez nombreux pour réaliser son rêve. (Et que ceux qui
veulent rompre une lance en faveur des alligators me prouvent qu’ils n’ont
jamais mangé de poulet !)
Alors, me direz-vous, tout ceci
est-il bien utile ? Et je vous répondrai : la beauté est-elle
utile ?
Tout cet argent ne pourrait-il
être mieux employé ?
Et alors ? Quand on aura
fermé les ateliers du rêve, aura-t-on pour autant soulagé la misère du
monde ?
3 commentaires:
J'aime bien l'expression "une petite main"
C'était dans la ville d'hiver à Arcachon, je me souviens quand le guide nous avait demandé qu'est-ce que c'est "une petite main"?
Ces villas de grande bourgeoisie, ou les enfants malades aristocrates, bourgeois venant de l’Europe (atteintes de tuberculose) se réfugiaient avec leurs domestiques dans cet écrin de verdure.
Laurent, une "petite main", c'est une ouvrière débutante.
En couture, un atelier s'articule ainsi:
Le Première, qui dirige l'atelier;
Sa seconde, qui la seconde;
Les ouvrières qualifiées ou premières mains;
la petite main;
et pour finir les apprenties autrement dénommées "arpètes"...
Ai-je éclairé ta lanterne???
Ah, oui très clair! (le guide nous avait posé la question mais dans le groupe, personne n'avait su répondre)
"une couturière", je m'en souviens bien.
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