C'est
une tendance bien connue dans les moments de crise de rechercher des boucs
émissaires et de rendre les pauvres et précaires responsables de leur propre
sort. La montée du chômage qui en fait un phénomène social, macro-économique, le
rend aussi forcément trop lourd à financer, charge qu'on va imputer aux chômeurs
eux-mêmes, devenus une surpopulation indésirable dont on aimerait bien se
débarrasser.
Il y a toute une tradition anglo-saxonne complètement décomplexée qui va
dans ce sens, de Malthus et Spencer à Thatcher et ses successeurs qui en
rajoutent sur la culpabilisation des pauvres même si on ne va
plus jusqu'à prôner ouvertement leur élimination au nom de la science
lugubre que serait l'économie !
Chez nous, cette brutalité était moins bien admise par notre égalitarisme
républicain, restant l'apanage de l'extrême-droite ou de petits salauds
ambitieux genre Wauquiez. C'est pourquoi il faut s'alarmer de voir ces discours
repris par un gouvernement, censé de plus être de gauche !
Certes, il n'y a là rien de neuf, dira-t-on. Les pauvres ont constamment
été soumis à l'état d'exception, l'oppression et le mépris : ce sont les
perdants, les loosers, une race inférieure que les winners,
très contents d'eux-mêmes et de leur réussite sociale, contemplent de haut.
Il faudrait bien faire changer la honte de camp, rendre
plus honteux ces véritables salauds qui nous accablent de leur morgue et de
leurs petits esprits mais, par définition, on ne pourra jamais mettre les
perdants (prolétariat) au pouvoir.
La seule force des pauvres est le nombre - ce qui ne veut pas dire hélas
qu'il suffirait de faire nombre pour ne pas se croire du côté des dominants,
mettre encore plus salauds au pouvoir et chercher d'autres boucs émissaires :
juifs, musulmans, immigrés, étrangers. Le ressentiment peut être ravageur, mieux
vaudrait ne pas l'attiser par la haine des chômeurs.
Si je reviens avec retard sur les menaces de François Rebsamen envers les
chômeurs, c'est que je trouve qu'il s'en est un peu trop bien tiré et n'a pas eu
le retour de bâton mérité, qu'on a été finalement bien trop indulgent avec cette
raclure qui met en jeu des vies, ses propos ayant été minorés voire justifiés
alors que ce sont ceux d'un minable qui fait porter aux plus faibles le poids de
ses propres échecs.
C'est tout de même un peu fort un gouvernement qui enfonce le pays dans la
crise, entretient un chômage de masse et accuse les chômeurs ensuite de ne pas
rechercher assez activement un emploi ! Il y a de quoi rendre fou.
Le problème n'est pas, comme le prétend bêtement
Dominique Schnapper, de contrôler la fraude et les droits des
chômeurs comme tout autre droit, mais bien de vouloir faire dépendre
l'indemnisation de la recherche active d'un emploi introuvable.
Le problème ce n'est pas seulement qu'il n'y a rien de plus cruel que
d'accuser ceux dont personne ne veut et qui ne reçoivent que des lettres de
refus, quand on daigne leur répondre, mais que cela perpétue l'incroyable
illusion qu'on pourrait passer son temps à chercher un travail qu'il n'y a pas !
Au début, bien sûr, même si c'est en prenant son temps pour reprendre son
souffle, on suit les pistes qui nous semblent les plus naturelles et favorables,
on sollicite ses réseaux, on consulte quelques sites voire quelques associations
quand on ne tombe pas dans le panneau des formations à la recherche d'emploi...
Mais au bout de quelques mois ou années, on finit forcément par
s'épuiser à un moment ou un autre, ne sachant plus où chercher,
ayant besoin sans doute d'une aide, de propositions adaptées mais surtout qu'il
y ait moins de chômage et certainement pas de sanctions supprimant un revenu
vital !
Des contrôleurs prétendent qu'en leur foutant une belle peur ça
"redynamise" les chômeurs découragés, mais pour combien de temps ?
On peut toujours consulter chaque matin les rares offres de pôle emploi,
assaillies de lettres de candidatures dans lesquelles on sait bien que la nôtre
fera pâle figure (trop jeune, trop vieux, trop diplômé, pas assez, trop atypique
ou basané, etc.). Cela ne sert à rien qu'à vous déprimer un peu plus à chaque
fois. Rien là dedans, en tout cas, qui crée un seul emploi et puisse faire
diminuer le nombre de chômeurs en dehors de radiations arbitraires qui sont
parfois de véritables condamnations à mort, absolument inacceptables !
Il y a des mesures urgentes à prendre, pour favoriser notamment le travail
autonome et trouver un débouché local à des compétences inemployées mais il faut
être un véritable salaud pour vouloir priver des gens de tout revenu sous
prétexte que les politiques de rigueur européennes ont détruit tous les
d'emplois disponibles.
C'est cette réalité que ce gouvernement ne veut pas reconnaître : que sa
politique produit un chômage de masse - dont il est le seul coupable, pas les
chômeurs qui en sont les victimes - et qu'on ne peut laisser personne sans
revenu, ce qui est à la fois inhumain et ne ferait qu'aggraver la crise.
Si on avait des hommes politiques à la hauteur de notre situation, au lieu
de nous conduire au désastre qui s'annonce, de se défausser sur les plus faibles
de leur propre incompétence, faire mine de hausser le ton devant une réalité qui
leur échappe et surtout d'entretenir de faux espoirs, comme si le chômage
dépendait de notre bonne volonté, c'est bien plutôt la nécessité d'une
garantie du revenu pour tous à laquelle il faudrait se résoudre
ainsi qu'à un véritable service de l'emploi qui ne laisse pas les gens se
débrouiller tout seuls mais les aide à valoriser leurs compétences et accéder au
travail autonome. La gauche, hélas, est moribonde, gangrénée par la tête, et
laisse déjà place au pire...