Ma mère avait alors
une vingtaine d’années; tant par ambition que pour fuir l’ambiance délétère
d’une ville de province au sortir de l’occupation, elle était « montée » à
Paris pour exercer son métier : modiste.
Très vite, elle a
trouvé le local idéal , au premier étage sur cour d’un immeuble hausmanien,
d’une rue paisible du 9° arrondissement, juste à la lisière du 8°. Un
emplacement parfait à mi-chemin de ses fournisseurs tous groupés non loin de
l’Opéra, et du quartier de la Haute-Couture, (Montaigne , Champs-Elysées) où
s’habillait la clientèle espérée, qu’elle a d’ailleurs obtenue.
Mais dans sa grande
innocence, elle n’avait pas compris pourquoi tant de facilité. Cette rue si
paisible, était, est toujours bien
connue pour des raisons qui n’ont rien avoir avec le commerce de luxe… enfin
si…. Mais un autre genre de commerce. Le
bas de la rue Godot de Mauroy était une rue parisienne ordinaire, avec sa
charcutière, sa droguiste, son bougnat, son cordonnier , etc…
En revanche, le haut
de la rue ne s’animait qu’à la tombée du jour ;il est vrai que dans
l’après-midi un autre commerce se remarquait moins. C’est ainsi que vers ma
dixième année, je circulais accompagnée de mon petit frère, entre l’école, le square et la promenade du
chien sous l’œil attendri autant que vigilant de ces dames et de leurs julots.
Rien, vraiment rien de fâcheux n’aurait pu nous arriver….mais il faut en venir
au voyageur.
Dans la moitié
convenable de la rue, il y avait une librairie. Une librairie d’art à la façade
ornée de boiseries sculptées très
« Modern Style ».
Tous les commerçants
de la rue déjeunaient, dînaient, chez Mr Marius le bougnat. C’était une sorte
de famille et des liens solides se nouaient ; ainsi entre ma mère et
madame C... la libraire.
Cette dame, amoureuse
de littérature et de belle édition avait racheté un fond de commerce précédemment consacré à un tout autre genre
de lectures. Il lui en était resté quelques caisses de livres laissées par les
anciens propriétaires qu’elle avait enfouies dans la cave dans l’idée de les y
oublier si personne ne les réclamait.
Or, l’ancienne
librairie avant une clientèle que Madame C... décourageait, mais un jour un
client insista plus que les autres et pour s’en débarrasser, la libraire
descendit à la cave. C’était avait dit le monsieur, genre notable de province,
« un livre, vous savez, pour lire dans le train, pour le soir, à
l’hôtel… ».

Madame C..., sans
trop regarder, mit la main dans une caisse, en sortit un livre qu’elle couvrit
soigneusement d’une couverture décente fournie par un grand éditeur, elle
emballa le tout dans un papier anonyme, ficela soigneusement et le tendit au
monsieur en lui recommandant de ne pas lui faire de publicité et de ne revenir
que pour des livres d’art…
Le soir, chez Marius,
elle raconta l’aventure à ma mère qui, curieuse, lui demanda ce qu’elle avait
vendu.. « Oh ! je n’ai même pas regardé, dit vertueusement la
libraire »
Et puis , et puis, la
curiosité n’est-ce pas… toujours est-il que les deux dames honnêtes
redescendirent à la cave pour savoir ce que le monsieur pouvait bien lire dans
la train.
Dans la caisse, il n’y
avait qu’un seul titre : « A Cheval ma Mie »… et voilà les deux complices de pouffer en
imaginant le voyageur congestionné à la lecture d’exploits équestres d’un genre particulier.
Et de feuilleter
l’ouvrage, pour découvrir…. un très
sérieux manuel d’équitation !
2 commentaires:
ÔOOOH !... à quoi pouvaient donc penser ces dames sivertueuses ? ! ? !
HAHAHAHAHAHAHA !!!
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