A vous, amis des contes, des légendes, des êtres et des lieux étranges; amis des jardins, des champs, des bois , des rivières ; amis des bêtes à poils, à plumes ou autrement faites ; amis de toutes choses vivantes, passées, présentes ou futures, je dédie cet almanach et ses deux petits frères: auboisdesbiches et gdscendu.

Tantôt chronique, tantôt gazette, ils vous diront le saint du jour, son histoire et le temps qu’il vous offrira ; ils vous diront que faire au jardin et les légendes des arbres et des fleurs. Ils vous conteront ce qui s’est passé à la même date en d’autres temps. Ils vous donneront recettes de cuisines et d’élixirs plus ou moins magiques, sans oublier, poèmes, chansons, mots d’auteurs, histoires drôles et dictons… quelques extraits de livres aimés aussi et parfois les humeurs et indignations de la chroniqueuse.

Bref, fouillez, farfouillez, il y a une rubrique par jour de l’année. Puisse cet almanach faire de chacun de vos jours, un Bon Jour.

Et n'oubliez pas que l'Almanach a deux extensions: rvcontes.blogspot.fr où vous trouverez contes et légendes de tous temps et de tous pays et gdscendu.blogspot.fr consacré au jardinage et tout ce qui s'y rapporte.

jeudi 24 octobre 2013

Echauffourée sanglante en Thimerais: l’église de Blévy profanée !



La famille Saint-Bonnet décimée, on pouvait espérer voir revenir des jours plus tranquilles à Blévy et ses alentours. Pas pour bien longtemps : moins de dix ans plus tard, quelques hobereaux locaux allaient faire parler d’eux. C’est que monsieur de Baronval et monsieur de la Noue étaient en désaccord sur la position de leurs places respectives dans l’église de Blévy.
Guillaume de Colas, sieur de Baronval avait son banc dans la nef, proche de l’autel de la Vierge, c’est-à-dire devant celui de monsieur de la Noue. Ce qu’il estimait légitime puisque la famille de la Noue avait de tout temps été protestante. On était encore loin de la révocation de l’Edit de Nantes, cependant ses membres, humant le sens du vent, avaient estimé que le moment était venu de complaire au roi et de changer la façon de dire sa prière. Ils étaient donc catholique de fraîche date, ce qui aux yeux de Baronval justifiait sa préséance.
Mais Charles de Paris, sieur de  la Noue était écuyer du Roi, position qui selon lui obligeait Baronval à lui céder le pas. En conséquence, il fit placer son banc dans le chœur. Le curé, terrorisé, humilié, parfois battu, menacé de mort ou même pire, depuis beau temps ne se mêlait plus des affaires de ces bons seigneurs ; il les laissait démêler entre eux l’écheveau embrouillé de leurs prérogatives.  Il se contenta d’avertir Antoine Leclerc de Lesville, qui en qualité de marquis de Maillebois,  était seigneur de Blévy ; Antoine Leclerc fit déplacer près du portail le banc de monsieur de la Noue.
La Noue offensé, fit construire une balustrade entourant l’autel de la Vierge et fit placer son banc à l’intérieur. Ce qui de fait, fit reculer celui de Baronval derrière le sien. Voilà donc nos gentilshommes bien montés l’un contre l’autre et pas seulement pour cette histoire de bancs ; il s’agissait aussi de savoir lequel des deux devait avoir l’honneur d’offrir le pain et aussi l’eau bénits.  Pendant un certain temps, ils se contentèrent de s’éviter, d’échanger des mots bientôt remplacés par des injures ; puis la Noue décida d’en finir et de frapper un grand coup.
Un beau jour d’automne, c’était un dimanche 20 octobre de 1669, La Noue invita une dizaine de gentilshommes de ses amis ; il y avait là entre autres, monsieur des Routis, les deux messieurs de Saint-Arnoult, les sieurs de la Ferrette, Mr le baron de Favières, Mr de Bois-Rouvray, Mr de Régusson, Henri de Fayel, seigneur de Marigny (qui est proche de Prudemanche)  et Mr de la Lucazière qui, sans doute parce que son domaine était le plus proche arriva sur les lieux quand tout était terminé. La Noue leur donna à dîner, puis les emmena à la messe. Une étrange messe pour laquelle si l’on oublia bien de prier Dieu on n’omit pas de  s’armer de pistolets, d’épées et aussi de fusils. La compagnie était installée dans l’église quand arriva Baronval  bien loin d’imaginer ce qui l’attendait. Le fils de Mr de Caupray, un de ses amis qui était venu la veille le visiter l’accompagnait et aussi Florient Galliot, seigneur de La Houssaye. Tant de gentilshommes armés assemblés dans l’église ne laissèrent pas de surprendre Baronval. Surprise dont il n’eût pas le temps de se remettre : La Noue et ses amis le prirent à parti verbalement et vertement pour commencer. Méfiant, au lieu d’aller à son banc qui était proche de celui de la Noue,  Baronval alla d’abord près de la chaire et tenta de sortir. La Noue voyant que son ennemi allait lui échapper n’attendit pas qu’il fût à la porte pour le coucher en joue et tirer. Et bien qu’ils fussent à dix contre trois hommes surpris, les autres tirèrent à leur tour. Le vacarme était indescriptible ! Les pauvres fidèles qui étaient venus paisiblement écouter la messe ce matin-là, tentaient de fuir ou de se protéger comme ils pouvaient. Baronval avait des amis qui prirent son parti, d’autres assistants prirent celui de La Noue. L’église était devenue champ de bataille  d’où les fidèles non concernés s’échappaient en hurlant.
Monsieur de Baronval, touché à l’estomac, par le chevalier de Saint-Arnoult tomba raide mort près des fonts baptismaux. La Houssaye , s’empara de ses deux pistolets et fit feu sur les assaillants, aidé de Mathurin Allais, meunier du moulin des Pré, lui aussi armé. Que pouvaient faire les partisans de Baronval surpris sans armes pour la plupart ceux bien équipés du parti de la Noue ? Le pauvre La Houssaye abattu, fut encore criblé de balles après son trépas. La chronique ne dit pas comment le meunier s’en est tiré, mais on sait que les vaincus n’ont pas épargné leurs assaillants : La Noue fut touché à la poitrine et finit huit jours plus tard par mourir de sa blessure ; Henri de Fayel, lui aussi blessé près de la balustrade du chœur en tentant de faire sortir madame de La Noue enceinte, et que la frayeur allait faire accoucher prématurément, mourut le lendemain ; Bois-Rouvray ne mourut pas mais fut touché dans ses œuvres vives de telle sorte qu’il lui devint impossible de continuer d’assurer sa descendance.
On trasporta le corps de Baronval dans la salle d’audience de Maillebois où il fut autopsié pour découvrir qu’un coup d’épée dans le foie lui avait été funeste. Antoine Leclerc de Lesville le fit inhumer dans l’église devant l’autel du Rosaire.
Cependant les vainqueurs n’eurent guère loisir de savourer leur victoire : la justice avait son mot à dire. Assignés à comparaître sous trois jours au tribunal d’Orléans, les rescapés avaient pris la fuite. On envoya des archers à leur recherche dans toute la région. Un commissaire fut nommé, Mr Martin qui mena l’enquête à Blévy et prit la déposition de tous les habitants qui étaient venus écouter la messe ce dimanche-là. Il avait amené avec lui un des grands vicaires de Chartres. En effet, par ces meurtres, l’église avait été profanée et depuis, il fallait dire la messe à la chapelle Saint-Claude située un peu plus loin sur la route de Mainterne ce qui pour la plupart des fidèles faisait tout de même 500m de plus à parcourir ! La situation ne pouvait donc durer et l’église fut bénie à nouveau. L’enquête terminée, le commissaire Martin condamna les morts à être traînés sur une claie puis pendus par les pieds. L’exécution eut lieu en effigie ; on n’allait pas remuer la terre où reposaient les condamnés pour les en tirer , d’autant plus que le temps ayant fait son œuvre, on aurait pu en perdre des morceaux avant de parvenir au gibet.
Quant aux vivants, certains eurent à payer un forte amende ; les autres, seize nobles et deux de leurs valets dont on n’avait pas retrouvé trace, par jugement rendu le 16 janvier 1670, furent déclarés criminels de lèse-majesté divine et humaine, dûment atteints et convaincus d’assemblées illicites, de combats prémédités, de sacrilèges et profanations commis dans l’église de Blévy ; eux aussi pendus en effigie et déchus des privilèges de noblesse et déclarés ignobles et roturiers et leurs fiefs saisis. La veuve du Seigneur de Marigny, Marguerite de Gaillardbois dont la famille possédait Marcouville, parvint à faire lever le séquestre et à rétablir la presque intégralité de son domaine auquel il manquait une ferme de Laons qu’il avait fallu vendre pour payer l’amende.

On grava la sentence sur une plaque de cuivre qui fut scellée dans l’église, sur le mur de la nef entre la chapelle de la Vierge et le Parquet de la Charité. Ne l’y cherchez pas, la Révolution l’a emportée.

illustration: l'église de Blévy par Utrillo


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